La féodalité à Pierrefonds (XIIIè – XVIIè siècle)

La Société d’Histoire et d’Archélogie du Valois publie dans son dernier bulletin « Histoires du Valois » (n°4, 2015) mon travail sur la féodalité à Pierrefonds entre le XIIIè et le XVIIè siècle, réalisé principalement à partir du dépouillement de quelques cartons de la série R/4 des Archives Nationales. J’en publie ici les premiers paragraphes (soit environ un quart de l’étude)….

Introduction

La mort en 1192 d’Agathe de Pierrefonds 1 marque un tournant dans l’histoire de la féodalité à Pierrefonds. Héritière de l’immense domaine des puissants seigneurs de Pierrefonds, elle meurt sans enfants de son mari Conon de Nesle, comte de Soissons. Plus jamais le titre de « seigneur de Pierrefonds » ne sera porté. A la lumière des documents de l’Ancien Régime le Pierrefonds féodal apparaît ensuite morcelé entre une multitude de fiefs de taille et d’importance variable, détenus à la fois par des particuliers et par des établissement religieux. Cet article vise à présenter la situation féodale de Pierrefonds à partir du XIIIè siècle, notamment grâce au dépouillement de certains cartons des archives de l’apanage d’Orléans concernant Pierrefonds, jusqu’ici peu utilisés par les historiens locaux 2.

Liste des fiefs

La première liste exhaustive des fiefs de la châtellenie de Pierrefonds, et donc de ceux qui étaient situés sur le terroir de Pierrefonds, est le dénombrement du duché de Valois en 1376 3. S’il est possible d’identifier dans ce document certains des fiefs mentionnés dans les documents postérieurs (c’est le cas notamment du Grand Autreval, du Petit Autreval ou de Bournonville), ce n’est que la masse des documents des XVIè et XVIIè siècles qui permet d’en dresser une liste complète et nominative – avec un total de pas moins de dix-neuf fiefs !

Huit d’entre eux relevaient directement du roi, à cause de sa châtellenie de Pierrefonds : le Grand-Autreval, Ruisseaux, La Vicomté, La Tranchée, Branges – Haucourt, La Follye, Le Bois des Darrideaux, La Corne de Cerf. Les autres relevaient de plusieurs seigneuries voisines : de Montgobert (Le Petit Autreval, Bournonville), de la Tour de Courtieux (Verneuil) et de Banru (Belliole) 4. Quand au domaine royal, il percevait directement plusieurs cens sur des terres ou des maisons situées à proximité directe du château. Enfin, de nombreux établissements religieux percevaient également le cens sur un certain nombre de maisons et de terres situées dans le bourg de Pierrefonds et aux alentours : le prieuré Saint-Sulpice de Pierrefonds, la chapelle Saint-Mesme de Pierrefonds, le chapitre cathédral Notre-Dame de Noyon, l’abbaye Notre-Dame de Soissons et l’abbaye Saint-Louis de Royallieu, et enfin les Célestins de Saint-Pierre-en-Chastres. De tous ces fiefs seuls deux arrière-fiefs sont connus : le fief de Dampleu, situé près de la Follye, érigé par le seigneur de Belliole en 1494 en faveur du verrier Jean Cacquerel ; et le minuscule fief de Crèvecoeur, qui mouvait du Petit Autreval.

Situation géographique des fiefs

Il serait vain de tenter d’établir une carte précise du Pierrefonds féodal, de nombreux fiefs n’offrant pas de continuité territoriale, surtout ceux se partageant le bourg actuel (où les assises territoriales des fiefs Saint-Sulpice, de la Vicomté et de Ruisseaux semblent imbriquées de manière inextricable). Globalement le Grand Autreval et le Petit Autreval occupaient la petite vallée d’Autreval, y compris la pente du Mont-Moyen, jusqu’à la rue Notre-Dame, et une très grande partie des terres agricoles situées sur le plateau au sud-est du terroir. Les terres situées immédiatement au sud du château correspondaient au fief de la Tranchée (le lieudit « La Tranchée du Château » est toujours mentionné au cadastre). Au nord, le fief de Saint-Eloi englobait le Martreuil et le reste du Mont-Moyen, et le fief de Bournonville une grande partie du hameau de Fontenoy jusqu’à la rue Mélaine, exceptée une enclave appartenant à Notre-Dame de Soissons à l’actuel lieudit « Le Grand Logis ». La rue Mélaine – ou Richebourg – était l’un des « nœuds » féodaux de Pierrefonds : ses maisons étaient dépendantes de Ruisseaux, de Verneuil, de Bournonville, de Notre-Dame de Soissons ou de la Vicomté. En allant vers l’est, le Champbaudon n’était constitué que d’un très ancien manoir et de son enclos, donnant dans l’actuelle rue du Baudon. De Branges-Haucourt dépendaient principalement les terres de ce qui constitue aujourd’hui le Bois d’Haucourt, ainsi que quelques maisons au Baudon. Plus à l’est, l’actuel Bois de Damart était le fief du Bois des Darrideaux, qui tirait son nom de ses anciens propriétaires : la famille Daridel puis Antoine de Craon, seigneur de Domart-en-Ponthieu. L’ « hostel de la Follye » et ses dépendances étaient possédées par le seigneur de la Follye, mais plusieurs maisons situées à proximité, ainsi que la ferme de Touvent, étaient – de façon surprenante et inexpliquée – sous la censive du seigneur de Bournonville. Enfin, le fief de Belliole correspondait principalement au hameau de Palesne.

Le morcellement territorial de certains fiefs (Ruisseaux, la Vicomté, Bournonville par exemple) témoigne peut-être de certaines dévolutions de fiefs primitifs, survenues à l’occasion de successions, dont les documents parvenus jusqu’à nous ne nous disent rien. Ainsi les censives du fief de Bournonville étaient principalement situées au hameau de Fontenoy, mais un dénombrement partiel effectué en début du XVIIè siècle mentionne plusieurs maisons et terres situées à la Follye. D’ailleurs, les seigneurs de Belliole et de Bournonville se disputent quelques années plus tard les terres où est bâtie la ferme de Touvent, sans que les documents explicitent la cause de la dispute. Le plus ancien des dénombrements du fief de Ruisseaux, daté de la fin du XVè siècle mais calqué sur un dénombrement antérieur de la fin du XIVè siècle, mentionne que certains terrages (ou champarts) de Ruisseaux étaient à partager par moitié avec Philippe de Belloy, qui était le seigneur du Grand Autreval. Nous ignorons pourquoi ces redevances en nature – prélevées sur certaines terres agricoles situées effectivement dans ce qui apparaît plus tard comme étant le domaine concédé du Grand Autreval – étaient partagées. Sauf à imaginer que le Grand Autreval était, comme Ruisseaux, une portion de l’ancienne vicomté de Pierrefonds, morcelée dès le XIIIè siècle 5. Nous ignorons également pourquoi le seigneur du Grand Autreval possédait un seul tiers du droit d’étalon de la mesure à blé de Pierrefonds, et surtout à qui appartenaient les deux autres tiers. Enfin, divers échanges ont également pu diminuer ou agrandir la consistance de certains domaines : en 1547 par exemple Raoul de Vienne, seigneur du Grand Autreval, cède au chapitre Saint-Jacques plusieurs terres appartenant à sa censive en échange de quelques arpents situés dans l’enclos du doyenné Saint-Jacques.

A certaines périodes, plusieurs fiefs ont pu être aux mains d’un même propriétaire, par le jeu des héritages, des alliances, ou par le biais d’une stratégie d’acquisition. Ainsi à la fin du XVème siècle et au début du XVIè siècle, la famille de Crévecoeur 6 possède les fiefs de la Follye, du Petit Autreval et de Branges (vendus dès 1532 par Philibert de Crèvecoeur à Charles d’Aumale, seigneur de Haucourt), le fief de Belliole, ainsi que les deux petits fiefs réunis de Verneuil et de Hermerel (ce dernier étant situé sur le terroir de Saint-Etienne Roilaye). Ce n’est qu’au XVIIIè siècle qu’un tel phénomène se produira à nouveau lorsque Richard Cornil de Gaya, « major et capitaine de la ville et château de Compiègne » et détenteur du fief de la Follye, achètera également Bournonville, Belliole et Branges-Haucourt.

« Hôtels seigneuriaux »

La réunion au XVè et XVIè siècles de certains fiefs aux mains du même seigneur ou la possession des fiefs par des seigneurs qui ne vivaient pas sur leurs terres a dû participer à la réduction des réserves seigneuriales – c’est à dire aux terres que le seigneur se réservait pour une exploitation directe -, voire à l’abandon des maisons seigneuriales, accensées à des particuliers. Au début du XVIIè siècle, il ne restait guère que le Grand Autreval, le Petit Autreval, Champbaudon et la Follye à disposer de maisons seigneuriales, habitées par les seigneurs qui les possèdaient. Ce n’était en revanche pas le cas pour le fief de Branges-Haucourt, ni pour Bournonville, Verneuil, Belliole ou Ruisseaux. Lors de la vente du fief de Branges en 1532, il est indiqué que la maison faisant office de « chef-lieu » avait été donnée à l’église de Pierrefonds, le seigneur se réservant uniquement les droits de mutation (lots et ventes). Dès 1540 l’ancienne maison seigneuriale du fief de Verneuil est mentionné comme baillée à cens : située au lieudit Richebourg (c’est à dire l’actuelle rue Melaine), nous en connaissons la description très ordinaire grâce à plusieurs documents du XVIIè siècle – qui la nomment par abus de langage « l’hôtel du fief de Hermerel » (les fiefs de Hermerel et Verneuil ayant été réunis à une époque inconnue). En 1655, la maison seigneuriale de Belliole, dont la description est tout aussi ordinaire, n’était plus qu’une « masure ». Quand au fief de Ruisseaux il est dès la fin du XIVè siècle exclusivement composé de censives. Enfin, il faut noter que la ferme des Célestins de Saint-Pierre-en-Chastres – dite « cense de Pierrefonds » -, dont les bâtiments étaient situés dans l’ancienne rue du Ruderon (correspondant aujourd’hui à la première partie de la rue du Bourg), possédait encore en 1538 un colombier7, symbole féodal qui témoigne que la maison avait sans doute été autrefois l’hôtel seigneurial d’un fief non identifié.

(…)

1 Louis Carolus-Barré, « Agathe de Pierrefonds et Aliénor de Vermandois, deux grandes dames du temps de Philippe-Auguste », in Bulletin de la Société Historique de Compiègne, n°29, 1985, p 41-45.

2 La série R4 « Papiers des Princes, apanage d’Orléans » des Archives Nationales renferme un très grand nombre de documents féodaux concernant le Valois et ses châtellenies, et constitue la source principale de cette étude (sur Pierrefonds, voir notamment Arch. Nat. R4 126, 130 et 136). Les archives des études des différents notaires qui ont exercé à Pierrefonds, conservées depuis la fin du XVIè siècle, ont également été dépouillées et utilisées (Arch. Oise 2E 58). L’abbé Dangu, dans ses « Etudes sur Pierrefonds » (in Bulletin de la Société Historique de Compiègne, tome 15, 1913, p179-180) qui a consulté la série R4 aux Archives Nationales, ne s’attarde pas sur la description des fiefs et n’en cite que quatre: « Parmi les fiefs sis à Pierrefonds même ( …) nous citerons le grand et le petit Outreval ( …), le Champbaudon ( …) enfin le fief de Bournonville ».

3 C’est la transcription réalisée par Louis Carolus-Barré (Arch. Oise, Jp 3018/46) du document original conservé aux Archives Nationales (Arch. Nat., P 1893) qui a été utilisée.

4 Banru, commune de Monitgny-Lengrain, Aisne. Ces mouvances ne sont pas anodines : les seigneurs de Montgobert étaient apparentés aux anciens seigneurs de Pierrefonds puisqu’ils descendaient de Jean de Nesle, frère de Conon de Nesle. Quand aux seigneurs de Banru, ils descendaient de Hugues de Pierrefonds, seigneur de Banru et Mortefontaine en 1180. On ne sait presque rien des anciens seigneurs de la Tour de Courtieux (possédée en 1540 par Pierre de Vassaux).

5 Le fief du Grand Autreval avait réuni à une date inconnue au fief de la Tranchée, qui, comme la vicomté de Ruisseaux avait appartenu aux religieux de Royallieu : il est également possible que ce soit en tant que seigneur de la Tranchée que Lemaire soit cité et que le partage des terrages de Ruisseaux et de la Tranchée se soit fait lors de la revente de ces fiefs par les religieux de Royallieu.

6 Cette famille semble descendre de Jean de Crévecoeur, mentionné comme lieutenant en la châtellenie de Pierrefonds et seigneur du Petit-Autreval lors des assises de 1426. Jean II de Crévecoeur, fils ou petit-fils de Jean, fit un mariage d’importance puisqu’il épousa Jeanne de Vassault, dont le père était de la famille seigneuriale de Martimont, et la mère Charlotte de Cuise de la famille seigneuriale de Cuise. Par cette alliance, les Crèvecoeur possédèrenr aussi dans la première moitié du XVIè siècle les fiefs du Mesnil et des Armaneurs à Cuise.

7 Arch. Dep. Oise H6737, baux de la cense de Pierrefonds par les religieux de Saint-Pierre-en-Chastres

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